” Depuis deux semaines [pendant le confinement], je fais de l’aide aux devoirs avec Akram, en CM1. [Cet enfant, ses parents et ses frères et sœurs sont des habitués de La Maison Des Familles – Les Buissonnets]. Le moment quotidien passé avec lui est le rayon de soleil de ma journée. Dans ce temps partagé [par téléphone, en visio], je donne vraiment la priorité à la relation qui se tisse entre nous, car je suis persuadée que c’est sur la qualité du lien que peut prendre appui l’apprentissage. Pour cela, j’essaie notamment d’être attentive à tous les signaux physiques que je peux observer pour essayer de clarifier ce qui se passe. Par exemple, lorsque je perçois des signes d’ennui, un besoin de bouger, une ombre de tristesse, je restitue avec des mots ce que je vois, comme un miroir tendu. Lui s’en saisit et nomme l’émotion ou le ressenti correspondant. L’autre jour, il a ainsi pu dire : “Je m’ennuie.” Je lui ai alors demandé de visualiser cet ennui en lui donnant une forme (“noire“), une consistance (“qui coule“), une température (“froide“). Comme nous étions en train de travailler sur les sorcières, je lui ai proposé d’imaginer ce qu’il ferait s’il avait des pouvoirs magiques. Quelle couleur donnerait-il à son ennui ? “Couleur arc-en-ciel“, m’a-t-il répondu… ça n’a pas tout transformé, mais au moins avons-nous pu continuer dans de meilleures conditions.
Je suis également attentive à mes propres besoins, pour parler au plus juste de ce que je suis. Comme je suis facilement gênée par le bruit ou le mouvement autour, je nomme les éléments du contexte extérieur qui me perturbent. “J’entends des pleurs, qu’est-ce qui se passe ?” “C’est ma petite sœur, elle pleure parce que mon frère lui pique ses doudous.” Et lui de m’emmener la voir avec le téléphone. Nous lui parlons quelques secondes, et le cours peut reprendre. “Tiens, tu marches pendant que je lis, tu ne veux pas t’asseoir dans un coin tranquille pour écouter ?” “Non, j’aime bien marcher.” “Alors d’accord.” Le fait de prendre soin de ce qui pourrait facilement devenir agaçant pour moi, en le nommant, me fait moi aussi gagner en disponibilité. Akram n’a pas arrêté de marcher pour autant, mais savoir que marcher n’entravait pas son attention a suffi à me rassurer sur sa qualité de présence et son engagement dans le moment, ce n’était plus un problème entre nous…
Le lendemain, au moment de la lecture, j’ai pris soin de lui demander de quoi il avait besoin pour être bien. Ce jour-là, il a choisi de s’asseoir dans un petit coin à l’écart, sur le balcon… dont le mur crépi nous a servi à explorer le sens du mot rugueux présent dans le texte : je l’ai invité à caresser le mur puis sa joue pour comparer les textures (rugueux VS doux ou lisse), puis à tracer avec son doigt la forme des pieds des vraies sorcières à qui manquent, comme chacun sait, les orteils (merci Roal Dahl !), ou encore une forme pointue, comme le bout des chaussures que qu’elles mettent pour cacher qu’elles n’ont pas d’orteils ! Nous sommes aussi partis à la recherche des myrtilles sur internet, pour voir de quelle couleur était leur salive “bleu myrtille“! Faire une place au corps, explorer ensemble, chacun sur son écran, une donnée inconnue de lui, en parler, et partager nos écrans, tout ceci contribue à ouvrir l’espace, sortir du confinement, faire de ce temps partagé un moment précieux, une aventure co-construite dont je ne sais jamais à l’avance la forme qu’elle prendra. Je marche au-dessus du vide, incertaine de réussir, mais dans ce lâcher-prise, chaque écueil dépassé, même imparfaitement, chaque geste de confiance manifesté par l’enfant est un trésor lumineux.
Oui vraiment, merci Akram, tu es un magnifique coéquipier! ”
Agnès, bénévole pour l’accompagnement à la scolarité