Une journée en antenne

Le jeudi est un jour de marché à Bondy, donc un jour où les gens sont de sortie. Avec l’équipe du Rocher, on installe dans la rue un petit stand de thé, café, gâteaux, qu’on offre aux gens qui viennent s’arrêter et discuter avec nous. L’idée, c’est d’aller rencontrer nos voisins, ceux qui habitent le quartier. Alors il y a la team des habitués, qui est là avant même qu’on installe notre petit stand, et puis les gens qu’on aborde dans la rue, et qui ne connaissent pas le Rocher. Un sourire, un bonjour, un café chaud, et hop, le cœur est réchauffé en 5 minutes. Le café de rue, c’est aussi l’occasion de rencontrer des gens que je ne rencontrerais pas habituellement. Le petit garçon de 7 ans qui me parle de son équipe de foot préférée, ou le jeune du point de deal d’à côté qui est toujours très heureux quand je lui apporte un café.

La table ouverte, c’est 30 à 40 personnes, bénévoles du Rocher et habitants de la cité, qui se réunissent pour un moment convivial autour d’une belle et grande tablée. Je ne sais jamais à côté de qui je vais déjeuner, alors c’est tout le temps la grande surprise. Je ressors toujours très heureuse de cette table ouverte, où j’ai parfois pu rencontrer de nouvelles personnes, approfondir spécifiquement un lien avec un habitant ou un bénévole du Rocher, ou partir au bout de 10 min jouer au babyfoot avec Eli, 10 ans, qui ne tenait plus en place à côté de moi.

Après avoir repris des forces, on retourne aux ateliers de français, mon moment préféré du jeudi ! Avec Papido (senior en cité) on anime un atelier pour une dizaine d’élèves de 35 à 70 ans, qui n’ont pas toujours eu accès à l’école, parfois même pas dans leur langue maternelle. Alors on ne peut pas leur enseigner le français comme une langue étrangère classique : il faut tout reconstruire. On revoit l’alphabet, on lit, on conjugue, on parle de la Poste, de Doctolib, on raconte sa semaine, et on termine toujours par la fameuse dictée. Ce sont des cours, oui, mais surtout des moments de vie, où chacun progresse à son rythme, dans une ambiance bienveillante et joyeuse. Et moi, je suis toujours bluffée par leur détermination – il y a de la fumée qui sort des oreilles parfois, mais ça ne lâche rien !

La journée continue, c’est ensuite reparti pour l’accompagnement à la scolarité des primaires. Après l’école, les enfants de l’accompagnement à la scolarité nous rejoignent au Rocher. En attendant que tout le monde arrive, c’est goûter, corde à sauter, cache-cache, foot, et bien sûr, batailles de boules de neige pour être bien trempés avant de s’attaquer aux devoirs (sinon c’est pas drôle). Ensuite, chacun passe une heure en individuel avec un bénévole, pour faire les devoirs ou revoir une leçon – un moment crucial pour ceux dont les parents ne peuvent pas les aider. Moi, j’accompagne Yousra, CE2, bonne élève, appliquée, mais aussi chipie et un brin distraite. Avec elle, on travaille la concentration, la confiance en soi, et on essaie de ne pas passer des heures à écrire « deux cent quatre-vingt-dix-huit » en lettres. On se fixe des petits objectifs à chaque séance, dans l’esprit du Rocher, et petit à petit, les progrès arrivent.

Une fois par semaine, le jeudi soir, place au tour de rue auprès des grands jeunes qui sont là. La première fois, c’est eux qui m’ont accueillie. « Wesh t’es du Rocher ? T’es nouvelle ? Tu t’appelles comment ? Welcome ! » C’est difficile de décrire ce que je fais là-bas. Je suis juste là. Je m’assois avec eux et on discute. En général on parle de plein de trucs, mais jamais du trafic ou de deal (très présent à Bondy) : du travail, de musique, du bled, de l’argent, de l’amour et de l’amitié, de la joie, du sens de la vie… Et puis des fois on parle pas, parce que le silence, c’est bien aussi. Et puis d’autres fois, je fais réviser ses mots de vocabulaire à Sami pour son contrôle d’anglais du lendemain.